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Série Café virtuel de l'EFPC : Une conversation sur les villes, avec Richard Florida (TRN5-V04)

Description

Cet enregistrement d'événement présente une conversation avec Richard Florida, économiste et urbaniste de renommée mondiale et auteur de l'ouvrage à succès The Rise of the Creative Class, sur la façon dont ses travaux novateurs ont contribué aux perspectives modernes au sujet des villes et de l'urbanisation et sur les principaux problèmes liés aux politiques publiques auxquels les villes seront confrontées dans le monde postpandémie.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 00:58:04
Publié : 2 février 2022
Type : Vidéo

Événement : Une conversation sur les villes avec Richard Florida


Lecture en cours

Série Café virtuel de l'EFPC : Une conversation sur les villes, avec Richard Florida

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Transcription

Transcription : Série Café virtuel de l'EFPC : Une conversation sur les villes, avec Richard Florida

[Taki Sarantakis apparaît à l'écran en vidéoclavardage.]

Taki Sarantakis Bon après-midi, bon matin ou bonsoir, selon la région où vous vous trouvez.

[La fenêtre vidéo de Taki remplit l'écran. Pendant qu'il parle, une bannière mauve apparaît momentanément dans le coin inférieur gauche. On peut y lire : « Taki Sarantakis. Président. École de la fonction publique du Canada. »]

Bienvenue au Café virtuel de l'EFPC, où nous abordons les politiques et non la politique, où nous parlons d'idées et non de partisanerie. Aujourd'hui, nous sommes vraiment très heureux de pouvoir compter sur la présence de l'un des penseurs les plus éminents au monde dans tout ce qui entoure l'urbanisation. La théorie de l'urbanisation, les travaux urbains et l'avenir des villes conçues pour les travailleurs. Le professeur Richard Florida est Américain, mais nous sommes chanceux. Nous avons réussi à l'attirer chez nous dans notre ville de renommée mondiale, l'une de nos villes de renommée mondiale, Toronto. Il travaille à l'Université de Toronto. Il dirige également le « Roger Martin Institute for Prosperity » je crois. C'est exact, Professeur Florida?

[Une autre fenêtre vidéo apparaît à la droite de Taki.]

Professeur Richard Florida Il s'agit du « Martin Prosperity Institute », nommé en l'honneur des parents de Roger Martin.

Taki Sarantakis Merci beaucoup, désolé. Le « Martin Prosperity Institute ». Nous allons donc commencer. Nous discuterons de la pandémie. Nous parlerons un peu d'ici et de maintenant et nous nous pencherons sur l'avenir. Mais retournons un peu en arrière. Vous êtes urbaniste. C'est un concept relativement nouveau dans la société, n'est‑ce pas? Si on pense aux villes, par exemple, à quand remonte le concept de ville, grosso modo?

[Pendant que Richard parle, sa fenêtre vidéo remplit l'écran. Pendant qu'il parle, une bannière mauve apparaît momentanément dans le coin inférieur gauche. On peut y lire : « Richard Florida. Professeur à l'Université de Toronto, auteur du livre Rise of the Creative Class. »

Tout au long de la conversation, Taki le rejoint périodiquement à l'écran lorsqu'il parle, sa fenêtre vidéo remplissant brièvement l'écran.]

Professeur Richard Florida Eh bien, les villes existent depuis toujours, car, en réalité, quand on pense aux premiers établissements humains, les établissements denses, on observe une sorte d'avancement de base dans le domaine de l'art. On peut penser aux peintures rupestres ou aux arts et aux outils utilisés dans les grottes, comme l'invention de certains objets tels que les premiers marteaux; ils ont tous été créés dans ces établissements humains denses à différentes époques. Mais le domaine de l'urbanisme existe probablement depuis un siècle. Peut-être depuis plus longtemps dans le domaine universitaire ou intellectuel. Quand on y pense, les premiers individus qui ont vraiment commencé à faire officiellement ce travail s'appelaient des théoriciens fonctionnalistes, un nom ennuyeux, mais ces gens essayaient simplement de comprendre pourquoi les grosses entreprises, les entreprises industrielles et les aciéries s'installaient là où on les trouvait. Ils ont découvert, sans surprise, qu'elles s'installaient près des matières premières et d'un accès aux marchés. Ensuite, au tournant du 20e siècle, un groupe de sociologues urbains de l'Université de Chicago a commencé à réfléchir aux villes, vous savez, comme des modèles de villes, et ces personnes ont produit un modèle. Le premier s'appelait le modèle de zone concentrique, où l'on trouvait le centre, ensuite un district d'entreposage, le quartier des ouvriers à faible revenu, une ceinture d'usines, puis un quartier résidentiel de classe supérieure. Et c'est parti de là. Je crois que c'est à ce moment que le mouvement de l'urbanisme moderne est vraiment né. Quand Jane Jacobs a écrit son livre très connu « Déclin et survie des grandes villes américaines » en 1961. C'était il y a environ six décennies. J'ai commencé à m'intéresser à ce domaine assez tôt. Je crois que c'était, vous savez, j'ai commencé dans le domaine dans les années 1970 pour vrai. Et j'ai fait mes études de premier cycle au début des années 1980 en fait. Je pense que, depuis que j'ai commencé à m'intéresser à ce domaine, nous avons assisté à la naissance d'un domaine vraiment très large englobant de nombreuses disciplines.

Taki Sarantakis Parlons de Jane Jacobs, une autre Américaine que nous avons en quelque sorte attirée à Toronto; je crois que c'était au début des années 1970. La plupart des Canadiens la connaissent, non pas en raison de ses excellents ouvrages sur les villes, mais plutôt pour ses démarches visant à faire cesser la construction de l'autoroute Spadina, qui était en quelque sorte l'équivalent du Lower Manhattan Expressway, un chantier qui avait été suspendu à New York et pour lequel elle avait eu son mot à dire. Donc les villes existent, on peut dire, depuis le début des temps. Mais je crois qu'il est juste de dire, comme vous le savez, qu'il y avait des villes à Athènes, dans des régions du monde musulman et en Asie, mais les villes telles que nous les connaissons maintenant, c'est un phénomène relativement récent, relativement nouveau, qui a probablement une centaine d'années, peut-être moins. C'est exact?

Professeur Richard Florida Si vous pensez à une ville moderne, à grande échelle, desservie par des moyens de transport, oui, probablement un siècle, un siècle et demi. Vous savez, j'ai de jeunes enfants de 4 et 5 ans. L'autre jour, je leur disais : quand vos grands-parents ont quitté l'Italie pour venir en Amérique... Donc, pensez-y, leurs grands-parents. Présentement, j'ai des enfants; je les ai eus tard dans la vie je dois l'admettre, mais les grands-parents de mes enfants, vous savez, la maison de mon père n'avait pas de plomberie à l'intérieur. Il n'y avait pas d'éléments comme un système d'air climatisé. Les gens ne conduisaient pas vraiment de voitures. Ils prenaient parfois le métro ou un véhicule tracté par un câble. Il n'y avait pas de téléviseur. Il y avait, vous savez, certaines personnes, en fait, de nombreuses personnes avaient l'électricité, mais bien des gens ne l'avaient pas non plus. Donc oui, si vous examinez les données, elles sont assez intéressantes à cet égard. Vous savez, vers l'an 1800, on comptait probablement moins de cinq pour cent de la population mondiale qui était urbanisée. Cela signifie que les gens vivaient dans un établissement urbain, à l'intérieur d'une grande ville, avec l'arrière-pays tout autour. Vers 1900, on comptait probablement cinq pour cent, plus ou moins, peut-être dix pour cent de la population mondiale, de toute la population mondiale vers 1950. Je n'ai pas de statistiques avec moi, mais je dirais que c'était moins d'un tiers. Projetons-nous maintenant en 2007. Pensez-y un moment. Ça ne fait pas très longtemps. C'est cette année-là que le taux d'urbanisation de la population a franchi la barre des 50 pour cent. Cela signifie que 50 pour cent de la population mondiale ou environ trois milliards et demi de personnes vivent désormais dans des zones urbaines. Alors, nous pourrions dire, en faisant des projections, que, d'ici 2100, 70 ou 75 pour cent de la population mondiale pourrait être urbanisée. Prenons donc ces agglomérations à grande échelle, comme la RGT, la région métropolitaine d'Ottawa, le Grand Montréal, le Grand Vancouver; vous savez, nous ne sommes pas si vieux. Et puis, il y a une nouvelle catégorie à laquelle nous devrions nous attarder je crois, Taki, un peu plus tard, soit la méga-région. La méga-région est un concept auquel la plupart des gens n'avaient pas prêté attention avant aujourd'hui. En fait, la méga-région, c'est comme si vous passiez du village, à la ville, à la zone métropolitaine, à la ville et aux banlieues, et puis, avec le temps, vous obtenez une unité encore plus grande que l'on appelle la méga-région ou la mégalopole. On parle ici d'une région comme le corridor Boston, New York, Washington ou la zone qui s'étend encore plus loin disons. De Hamilton, Toronto, Montréal, Ottawa à Buffalo et à Rochester, vous savez, le tout relié par des autoroutes, et vous pourriez voir tout cela en y ajoutant le télétravail, et plus précisément sous la forme d'un marché du travail plus intégré puisque, comme vous le savez, les gens peuvent désormais télétravailler malgré ces distances. C'est un développement relativement moderne. Le concept a été identifié dans les années 1950 par un géographe exceptionnel du nom de Jean Gottman. Quand vous pensez à la montée du phénomène des méga-régions et que vous regardez un peu partout dans le monde, vous constaterez qu'il en existe désormais 40 ou 50. Donc oui, je crois que la ville moderne, la région métropolitaine moderne, reliée par des moyens de transport, reliée par des avions, reliée maintenant par Internet, c'est une forme de développement très moderne, et l'ampleur de l'urbanisation a réellement dépassé ce que nous nous attendions à voir de notre vivant.

Taki Sarantakis En effet. Nous avons donc franchi un seuil à l'échelle mondiale. Nous avons mentionné que nous avions d'une certaine façon basculé de l'autre côté en 2007. En effet, on compte depuis davantage d'humains en zone urbaine qu'en zone rurale. Au Canada, cela pourrait surprendre certaines personnes, mais, au Canada, nous avons franchi ce seuil beaucoup plus tôt. Nous aimons penser que notre pays est un territoire vaste et ouvert qui a, en quelque sorte, une histoire rurale et de nombreuses terres. Dans les faits, au Canada, la plupart des statistiques indiquent, selon notre méthode de calcul, que nous sommes maintenant urbanisés à plus de 70, 80 pour cent. Le Canada est ainsi l'un des pays les plus urbanisés au monde.

Professeur Richard Florida Je dirais que le Canada est urbanisé à environ 85 pour cent ou plus. Il ne fait aucun doute que c'est l'un des pays les plus urbanisés au monde, peut-être pas aussi urbanisé que le Japon, qui, à bien des égards, quand on regarde les images satellitaires de nuit, n'est qu'une méga-région, soit le pays au complet. Ce pays est complètement ou probablement urbanisé à 100 pour cent. Mais je crois que le Canada est probablement plus urbanisé que les États-Unis, du moins à certains niveaux. Nous entendons souvent la même statistique, mais j'ignore si elle est exacte; il semblerait que 80 pour cent des Canadiens vivent dans deux pour cent du territoire. Je ne sais pas si c'est vrai, mais j'ai entendu cela très souvent. J'aurais tendance à dire que c'est vrai.

Taki Sarantakis Nous ressemblons au Chili, mais à l'horizontal.

Professeur Richard Florida Oui, exactement. Il y a une chose qui est très intéressante et que la plupart des Canadiens ignorent. Les États-Unis comptent un grand nombre de villes et de zones métropolitaines. C'est un grand pays. On trouve très peu de pays qui ont une géographie comparable à celle des États-Unis. Les États-Unis regroupent plus de 360 régions métropolitaines. Le Canada en a environ trente-cinq. C'est tout à fait logique. Les États-Unis sont dix fois plus gros, mais voici un aspect que je trouve particulièrement intéressant. Prenons la principale zone métropolitaine des deux pays. La zone métropolitaine de New York détient environ 10 pour cent du PIB américain et génère environ 10 pour cent de la production économique américaine. La RGT génère plus de 20 pour cent de la production économique du Canada. Cela signifie que la RGT est aussi important pour le Canada que si vous mettiez ensemble New York, Los Angeles, San Francisco, Washington D.C. et Boston. Nous pouvons dire que nous sommes vraiment urbanisés. Je n'ai pas fait les recherches pour la mégalopole. Je parle ici de la région dont j'ai fait mention qui couvre Toronto, Ottawa et Montréal. Par contre, si vous meniez de telles recherches, vous obtiendriez probablement un tiers du PIB canadien, peut-être plus. Donc, prenons le Canada. Il y a cette mythologie entourant ce pays rural avec d'innombrables forêts et lacs et l'arrière-pays, vous savez, la magnifique campagne, les orignaux et les élans et toute cette mythologie. Je crois que c'est là où l'on tombe dans le piège. Vous savez ce qui est intéressant, Taki? Le vrai Canada, c'est le Canada que les nouveaux Canadiens voient. Les nouveaux Canadiens voient un Canada composé de grandes villes. Que ce soit une bonne chose ou non, cela représente davantage la réalité. Sans vouloir minimiser l'autre réalité, cela se rapproche davantage de la véritable réalité du Canada, soit un pays très, très urbanisé.

Taki Sarantakis Absolument. Si vous prenez disons Toronto et Montréal, Vancouver et, un peu plus récemment, Calgary et Edmonton, cela représente la grande majorité de notre immigration, là où la très grande majorité des nouveaux Canadiens s'installent, comme l'ont fait mes parents quand ils sont arrivés au pays et se sont établis à Toronto dans les années 1960. Vous avez parlé de certaines grandes villes américaines. Certaines de ces grandes villes américaines ont connu des hauts et des bas ainsi que des périodes de grandeur et des espèces de vallées du désespoir. Vous êtes né et avez grandi dans, on pourrait dire, l'une de ces villes qui ont connu des hauts et des bas, soit Newark, New Jersey. Vous avez connu une enfance typique. Alors, parlez-nous un peu de vous. Je crois que vous êtes né un peu avant les années 1960. Je ne voudrais pas révéler de secrets d'État, mais vous êtes né un peu avant les années 1960, et je pense que Newark, dans les années 1960, était en quelque sorte à l'apogée de certains des problèmes que la ville a connus. On pourrait peut-être affirmer que Newark se compare un peu à un microcosme qui dépeint la façon dont bien des villes ont réussi à boucler un cycle de vie.

Professeur Richard Florida Dans le genre. Malgré mon attitude et mon apparence de jeunot, je suis né en 1957. Alors, je me rappelle de Newark dans sa forme initiale. Il est intéressant de savoir qu'un nouveau livre a été publié au sujet de Jane Jacobs et du fait que sa vie a été façonnée par la première ville où elle a vécu, Scranton. Elle a ensuite déménagé à New York, puis à Toronto. J'ai tenté de suivre les traces de Jane toute ma vie, par hasard, et j'ai bien fait. Mais le livre parle du fait que Scranton était une ville industrielle qui comptait des installations industrielles et des ouvriers industriels. Eh bien, je me souviens de cette ville. J'ai reconnu cette ville dans ma propre ville, Newark. Mon père et mes grands-parents venaient tous du sud de l'Italie, d'Avellino, un peu au sud et à l'ouest de Naples. Vous savez, mon père n'a pas pu faire d'études secondaires. Mon père a dû commencer à travailler à l'âge de 13 ans, quand il a pu obtenir ses documents l'autorisant à travailler. Il a travaillé dans une usine du nom de Victory Optical. Il a servi pendant la Deuxième Guerre mondiale et a débarqué sur les plages de Normandie. Il est revenu et a rencontré ma mère. Ils se sont mariés dans les années 1950 et ont eu deux garçons. Je suis donc né à Newark dans un petit appartement. Je me souviens de Newark. J'habitais près du grand... Il y a un grand parc à Newark qui s'appelle Branchburg Park. C'est à Newark que vivait cet homme, vous le connaissez, peut-être qu'il est tombé en disgrâce pour une raison quelconque, mais c'est un romancier, Philip Roth. Je me souviens de Philip Roth, de Newark. Il y avait un centre-ville avec de beaux magasins à rayons. Il y avait de bons petits restaurants, des pizzérias italiennes. North Newark était un quartier animé où vivaient des Américains d'origine italienne. Mes grands-parents parlaient italien. C'était incroyable. Quand j'étais jeune, un moment donné, mes parents, comme bien des gens de leur génération, ont décidé qu'ils voulaient s'acheter une maison unifamiliale. La maison qu'ils ont achetée était très près. C'était peut-être à 10 ou 15 minutes de voiture dans un endroit que l'on appelait North Arlington. Tout ce dont je vous parle, pour ceux qui regardent, vous pouvez le voir dans la scène d'ouverture de la série The Sopranos. Quand Tony circule sur l'autoroute Pulaski Skyway, il traverse carrément des quartiers de Newark, puis ma ville natale de North Arlington. Vous pourrez le constater, car vous verrez le restaurant Pizza Land Pizzeria. C'est exactement l'endroit où je suis né. C'est la rue principale de North Arlington. En passant, sans vouloir étirer le sujet, il y a un nouveau film qui a été produit, « Many Saints of Newark - Une histoire des Soprano », et il se trouve que Jim Gandolfini, le premier à jouer Tony Soprano, est à peine plus jeune que moi. Il est allé à Rutgers. Il avait environ quatre ou cinq ans de moins que moi, mais il joue dans le film un garçon environ du même âge habitant dans mon Newark. Donc, cet automne, vous pourrez voir où j'ai grandi exactement. Mais bon, ça se passe dans les années 1960, à l'été 1967, environ à cette période-ci de l'été, une journée comme aujourd'hui, Taki.

Taki Sarantakis Et vous aviez environ 10 ans. Vous aviez 10 ans.

Professeur Richard Florida Dix ou onze ans. Je ne sais plus. Oui, je suis né en novembre; donc, je me trompe toujours quand je fais le calcul. Mais, peu importe, vous savez, la ville a été secouée par des émeutes raciales. En réalité, je les ai vécues en direct parce que mon père me conduisait à ma leçon de guitare. Il voulait que j'apprenne à jouer un instrument qu'il n'avait jamais pu jouer. Je voulais être un guitariste de rock and roll comme Jimi Hendrix ou Eric Clapton, peu importe. Revenons à ma leçon de guitare. J'étais donc dans la voiture, et la police nous a arrêtés. L'agent nous a dit de faire demi‑tour. Mon père était un homme brillant. Il m'a dit : « Rich, couche-toi au sol! ». Nous avons entendu des coups de feu. Il y avait une fusillade à Newark. Il y avait des chars d'assaut dans la rue. On voyait des soldats de la Garde nationale dans la rue. Il y avait de la fumée; les rues de la ville étaient en feu. J'observais tout cela alors que je n'étais qu'un jeune garçon. Cela explique, selon moi, pourquoi à 10 ans je n'ai pas dit : « Oh papa, j'ai décidé de devenir urbaniste. » Je ne savais pas ce qu'était un urbaniste. Je crois que cette image de ma ville en feu, les conversations sur un déménagement en banlieue, le racisme, pour être franc, le racisme et l'activisme racial et les libertés civiles, la lutte pour, vous savez, le droit de vote et les libertés civiles. Pour moi, un jeune garçon, je crois que cela a fait une forte impression et je voulais essayer de comprendre. Et puis, avec le temps, les mêmes questions continuaient de revenir à la surface. Mais je crois que c'est en cette journée de juillet 1967 que je suis devenu urbaniste.

Taki Sarantakis Alors, dans les années 1960, puis au début des années 1970, il y a eu Newark, puis New York. Vous connaissez la célèbre manchette attribuée à Ford, le président Ford, à la ville de New York : Va mourir! Vous aviez eu en quelque sorte plus tôt Buffalo; vous aviez eu d'autres villes comme Detroit, des villes qui se vidaient, comme si l'ère des villes américaines était révolue et, vous savez, c'était la dégénérescence, l'exode vers la banlieue, les usines, les petites usines de gants à Newark que l'on retrouvait dans les romans de Philip Roth qui étaient abandonnées. Les villes étaient d'une certaine façon devenues des lieux non pas d'espoir mais plutôt de désespoir. Nous avons tendance à oublier que... Nous voyons les villes comme étant... Nous pensons toujours que New York, comme vous le savez, profite de ce genre d'arc continu et ininterrompu. Alors, comment les villes ont-elles réussi à se ressaisir? Ce que je veux dire... Je sais que vous n'avez pas suivi Jane Jacobs à Pittsburgh, mais vous avez également passé du temps à Pittsburgh. Voilà une autre communauté qui s'est vidée en quelque sorte, d'un point de vue métaphorique. Et maintenant, elle fait de nouveau partie des belles villes américaines. Comment s'est amorcé ce renouveau? Qu'est-ce qui a été le déclencheur?

Professeur Richard Florida Alors je suis comme un livre d'histoire vivant maintenant. Je suis assez vieux pour devenir un oracle d'histoire vivant. J'ai vécu tous ces événements. J'ai vu tout cela personnellement. Je ne l'ai pas lu dans un livre ou un cahier. Mais je l'ai vécu, vous savez, j'étais dans ces villes. Alors, effectivement, au début des années 1970, la plupart des gens qui étaient en mesure de le faire quittaient les villes. On parle assurément de villes comme Newark, Buffalo, Detroit, Pittsburgh et New York, ainsi que de personnes riches et éduquées et d'entreprises. Les entreprises ont commencé à déménager leurs sièges sociaux à l'extérieur des villes. Les commerces au détail et les magasins à rayons de New York ont tous fermé leurs portes. Ils ont déménagé dans les banlieues. Je me souviens du premier centre commercial de banlieue qui a été construit au New Jersey. L'usine où mon père travaillait, Victory Optical, employait des milliers d'Américains d'origine italienne, juive et polonaise ainsi que des Afro-américains et des Portoricains. Cette usine a fermé ses portes. J'ai été témoin de la période de chômage de mon père et de la désindustrialisation. Ma mère était commis aux petites annonces. Elle notait les petites annonces pour les locations d'appartements ou bien pour les ventes de voitures dans le Newark Star-Ledger. Je me souviens que je me promenais avec mon père parce que ma mère ne savait pas conduire et qu'il fallait aller la chercher. Tout l'immeuble était entouré d'une clôture de barbelés. Les villes renvoyaient alors vraiment une image de désolation, de déclin et de désespoir. Je suis finalement allé à Rutgers University à New Brunswick, New Jersey. J'ai décroché une bourse pour aller à l'Université de l'État; mes parents étaient tellement fiers. J'étais le premier enfant de ma famille à fréquenter le collège. Je me souviens que, après que mes parents m'ont fait comprendre qu'ils voulaient que je fasse des études, ils voulaient que je devienne médecin - c'était le rêve de toute bonne famille immigrante. Je leur ai ensuite dit : « Je ne suis pas capable. Je n'ai pas de bonnes notes. » Je les ai convaincus que je pourrais être avocat. Ma mère a dit : « C'est une bonne idée. Tu vas faire un bon orateur, Richard, tu es comme moi. » Quoi qu'il en soit, j'ai découvert ma passion pour l'urbanisme, j'ai décidé d'arrêter de jouer de la guitare et de me couper les cheveux, je suis allé à l'école d'études supérieures à MIT, puis j'ai terminé mes études à Columbia. J'ai donc appris à connaître Boston assez bien. J'ai aussi appris à connaître New York relativement bien, très tôt dans ma vie. Mais, en réalité, si vous lisez des articles rédigés par des urbanistes à cette époque... Ils disaient, par exemple, que la ville était un bac à sable ou une réserve. Ces articles disaient que les villes étaient des endroits ne présentant aucune fonction. Aucune fonction ni aucune valeur économique... Cela diffère grandement que ce que l'on vivait au Canada, où l'on constatait un certain déclin, mais jamais de cette importance. C'était des endroits qui avaient besoin de politiques fédérales simplement pour se maintenir à flot. Comme vous l'avez mentionné, en 1975, New York a vécu une crise financière et budgétaire. Et c'est à ce moment que le président alors en poste, le président Ford, a dit : « Oubliez ça, nous n'allons pas renflouer vos coffres. Nous n'allons pas vous sauver de la faillite. Trouvez une solution vous-mêmes. » J'étais donc un jeune homme qui essayait de comprendre. Vraiment, c'était tout ce que j'essayais de faire. À cette époque, je n'étais pas du tout influencé par Jane Jacobs. Alors, son livre « Déclin et survie des grandes villes américaines » était pour moi un genre de prose de la vieille école qui n'avait guère de sens. Elle parlait des villes qui étaient des milieux dynamiques ayant été endommagés par le renouveau urbain. J'ai vu des villes qui étaient dans des situations de déclin et de désespoir. Pendant toute ma carrière, à partir de ce moment, pour vrai, j'ai tenté de trouver comment les villes pouvaient renaître. Finalement, je suis déménagé à Pittsburgh dans le milieu des années 1980 et j'ai commencé à m'intégrer aux efforts déployés de longue date par les entreprises et l'élite politique de Pittsburgh pour revoir la ville. En fait, j'ai joué un rôle majeur dans ce mouvement. Ce point est très important. J'en suis venu à la conclusion que leur stratégie s'en allait dans la mauvaise direction, c'est-à-dire que la stratégie qui consistait à tenter de faire revivre une ville en construisant de gros stades ou en attirant des sièges sociaux ou des entreprises en distribuant des incitatifs ou en construisant de grands centres des congrès ne fonctionnerait pas. Ce qui m'a permis de commencer à faire de telles observations, c'est parce que j'enseignais dans une université, Carnegie Mellon. Cet établissement ressemble à Waterloo, c'est ce que l'on trouve de mieux comme université, dans le cas de Carnegie Mellon, au monde. C'est comme un mini-MIT ou un mini-Stanford. Cet établissement a formé de nombreux ingénieurs de premier rang, du personnel de Google et de Microsoft ainsi que de nombreuses entreprises de technologie et bon nombre des grands inventeurs. Mais ces jeunes gens et le corps professoral déménageaient dans la région de la baie de San Francisco ou à Boston pour lancer leurs entreprises. C'est alors que j'ai eu un nouveau souffle et que j'ai commencé à voir l'urbanisme sous un nouvel angle. C'est à ce moment que j'ai commencé à écrire ce livre qui allait annoncer la montée de la classe créative. Et c'est alors que j'ai redécouvert Jane Jacobs si on peut parler ainsi. Alors, à partir de ce moment à Pittsburgh, dans les années 1980, j'ai commencé à sentir qu'il pourrait y avoir de l'espoir. Mais, en passant Taki et tous ceux qui nous écoutent, personne ne croyait à ce que j'avançais. Dans les années 1980 et 1990, aucune personne sensée ne croyait que les villes allaient s'en remettre.

Taki Sarantakis Vous vouliez vivre la vie de rêve qui vient avec la banlieue, n'est-ce pas? Vous vouliez une cour arrière. Vous vouliez vous éloigner de la criminalité. Vous vouliez vous éloigner de la dégénérescence urbaine. Vous vouliez être en sécurité. Parlons de cet aspect maintenant. Nous pouvons affirmer que nous menons en quelque sorte des vies parallèles, même si vous paraissez beaucoup, mais beaucoup plus jeune que moi. Mes parents étaient aussi des immigrants. Mon père a commencé à travailler à l'âge de 12 ans. Je suis la première personne de ma famille à me rendre en 7e année, encore plus à l'université. Alors arrive l'année 2003 ou 2004, à peu près à cette époque-là. Je travaillais à un ministère fédéral qui s'appelait « Infrastructure Canada ». C'était l'un de ces ministères où les discussions ressemblaient à « Construisons un stade. Construisons un centre des congrès. Bâtissons une autoroute. » Un jour, quelqu'un est arrivé avec un livre et a dit : « Voici notre nouvelle bible ». Ce livre, c'était votre livre. C'était « The Rise of the Creative Class ». En quoi consiste la classe créative? Parlez-nous un peu de ce concept.

Professeur Richard Florida D'accord, mais revenons un peu en arrière et parlons de notre passé commun. Oui, absolument, la banlieusardisation a fait fureur. En Amérique, on parle ici du nouveau rêve américain. C'est ce à quoi les gens de ma génération et ceux de la génération de vos parents aspiraient; ce n'était pas seulement qu'un mouvement populaire. Il faut noter un point très important qui différencie un peu l'Amérique du Canada : c'est que la plupart des bureaux, des commerces de détail et des entreprises avaient quitté les villes. Par conséquent, New York et Boston étaient en quelque sorte des exceptions parce que ces villes les avaient conservés, et Chicago un peu aussi, mais la plupart des villes s'étaient tout simplement complètement vidées. Si vous vous penchez sur la naissance de ce que nous appelons l'industrie de haute technologie, les semi-conducteurs, les logiciels et la biotechnologie... Cela ne s'est pas produit dans les villes. Mais plutôt dans des complexes de banlieues... Un ancien partenaire d'entraînement et adversaire, Joel Kotkin, qui est devenu un bon ami avec le temps... On devient amis avec des gens avec qui l'on argumente. On le surnommait à l'époque « Nerdistans ». Il soutenait dans le temps, à juste titre, que ces ingénieurs de haute technologie, ces inventeurs et ces entrepreneurs ne voulaient pas se retrouver dans une ville sale, crasseuse et morne, mais que peut-être certains bohémiens aimeraient y vivre. Ils voulaient plutôt s'installer dans ces complexes de recherches de banlieues encore intactes, comme les régions de San Jose, Sunnyvale et Silicon Valley, comme les secteurs à l'extérieur de Boston le long de la ceinture périphérique de la Route 128. Comme la région où la société Microsoft a été créée à l'extérieur de Seattle, comme des secteurs de certaines banlieues à l'extérieur d'Austin.

Taki Sarantakis Richmond, Menlo Park.

Professeur Richard Florida Tout ce qui devenait une banlieue. Donc, je me trouvais à Pittsburgh, dans les années 1980, 1990 et 2000, et je travaillais là-dessus. Je faisais des recherches sur les complexes de recherches de banlieues, les centres d'innovation se trouvant dans les banlieues. Je crois que c'est environ vers la fin, disons que c'était la fin des années 1990, on pouvait sentir que quelque chose se préparait. Que nous étions à un tournant important. C'est à ce moment que j'ai redécouvert Jane Jacobs, et ce n'était pas grâce à son livre « Déclin et survie des grandes villes américaines ». C'était un livre sur l'économie des villes. Dans ce livre, elle présentait un argument très simple : la clé de l'innovation et de la croissance de la productivité dans le capitalisme moderne résidait dans le regroupement des gens. Dès que j'ai en quelque sorte compris cela, j'ai voulu fusionner les points de vue de Jacobs sur l'urbanisme avec la façon dont le capitalisme évoluait, l'innovation survenait, les technologies étaient inventées et les nouveaux centres d'innovation étaient créés. J'ai alors commencé à me pencher sur tout cela. C'est ainsi que l'idée de la classe créative m'est apparue. Je n'appelais pas ça la classe créative. Je n'avais pas encore de nom. Par contre, ce que je pouvais voir quand j'examinais une énorme quantité de données avec l'aide d'un grand nombre de personnes très brillantes à Carnegie Mellon qui connaissaient les ensembles de données mieux que moi, c'est que, vers 1980, nous avions observé un grand changement dans la nature du capitalisme aux États-Unis, au Canada, en Europe et dans les pays développés d'Asie. Vers 1980, non seulement nous observions une forte baisse de l'industrie manufacturière, mais également de la fabrication manufacturière. Nous avons remarqué une hausse dans ce nouveau groupe d'activités et d'industries, soit les travaux en sciences et en technologies, en innovation et en recherches ainsi qu'en gestion. C'est ce que Peter Drucker, le grand théoricien du management, appelait les professions du savoir. Ou ce que Daniel Bell, le grand sociologue, appelait l'élite technocratique. Mais il y a aussi les arts, la musique, les divertissements et le design. Et nous avons commencé à voir des différences dans les endroits où nous retrouvions ces gens. Entre 1980.... On voit que ce groupe prend son envol. Il représente alors environ 10 pour cent de l'effectif et croît à 35 pour cent de l'effectif vers 1998-2000. Mais on constate aussi que ce groupe commence à se concentrer. Il n'est pas réparti uniformément comme dans le cas du secteur manufacturier. Ce groupe finit par se concentrer fortement dans les grandes villes, dans les zones métropolitaines comme San Francisco, New York, Boston, Austin, Seattle... Je pourrais donner d'autres exemples... La région de la baie de San Francisco. C'est là que nous commençons à voir de grandes différences dans les endroits où s'installe ce groupe. C'est à ce moment que j'ai commencé à dire qu'il y avait un nouveau phénomène. Je voulais le décrire. Je voulais écrire à ce sujet. Et puis, à partir de la fin des années 1990, le livre est sorti en 2002, donc vous avez eu un des premiers exemplaires, j'ai commencé à mettre cela par écrit. C'était un processus long, ardu et douloureux qui a mené à la publication du livre « Rise of the Creative Class ».

Taki Sarantakis Toutefois, le livre ne se contente pas de parler des ingénieurs logiciels ou des spécialistes du management de Peter Drucker. Vous avez commencé à parler de choses auxquelles nous n'avions jamais vraiment réfléchi, comme l'économique. Vous avez commencé à parler des artistes, vous avez commencé à parler des bohémiens, vous avez commencé à parler de... je crois... de baristas. De tous ces trucs auxquels nous n'avions jamais vraiment réfléchi. Nous y pensions davantage du point de vue culturel que du point de vue économique.

Professeur Richard Florida Donc, si nous remontons dans le temps, il faut comprendre que vous voyez alors une ville qui était morte et désespérée et sur le déclin vivre un renouveau. Ce que je veux dire, c'est que vous pouviez vraiment voir ce genre de dynamisme dans la région de la baie, à Boston et certainement dans le Lower Manhattan. Et là, je dois essayer de l'expliquer. Environ au même moment, les gens parlaient de, vous savez, de ce qui attire ces nouvelles personnes dans les villes, ces technologues et ces innovateurs et ces gens à l'aise possédant des diplômes d'études supérieures; ce qui les attire en ville, ce sont les infrastructures. Ils veulent vivre près de meilleurs cafés, de meilleurs restos, de meilleurs spectacles de musique, pièces de théâtre et galeries d'art. C'est quelque chose qui est difficile à évaluer. Mais je voulais le faire. Je voulais voir s'il y avait un lien. À cette époque, le bureau du recensement américain rendait ses données disponibles beaucoup plus facilement. Nous avons donc décidé que nous pourrions examiner les villes sous un autre angle. Je sais que ma réponse est plutôt longue et détaillée, mais c'est important. Alors que la plupart des gens essayaient de trouver où les personnes ayant fait des études supérieures s'installaient, nous avons pensé que nous pourrions vérifier le genre d'emploi que les gens occupaient. Nous pourrions regarder où se situaient les différentes professions : ingénieurs logiciels, artistes, musiciens, banquiers, gestionnaires, avocats. Finalement, nous avons utilisé cette classification par profession pour créer ce que nous avons appelé la classe créative. Et voici ce que nous avons découvert. La première chose que nous avons faite... Nous avons dit : « Pouvons-nous créer une mesure fictive des infrastructures artistiques? » Donc, là où vivent réellement les musiciens, les artistes, les designers, les écrivains. Et à la blague, un jour, quelqu'un a dit en réunion au bureau : « Appelons cela l'indice bohémien ». D'accord? C'est un nom plutôt « cool ». N'est-ce pas? C'est ce que nous avons écrit, et cela a déclenché une tempête. Cela ne m'a jamais intéressé. Et puis, il s'est passé autre chose, quelque chose d'encore plus intéressant. À cette époque, Carnegie Mellon attirait beaucoup de jeunes diplômés de premier cycle qui désiraient travailler avec ce genre de données de recensement. Il y avait un jeune homme là-bas du nom de Gary Gates qui était un leader étudiant de la communauté homosexuelle... C'était un homme gay qui essayait de comprendre la propagation de l'épidémie de SIDA. Il essayait de recueillir des données qui n'existaient pas sur les endroits où se trouvaient les hommes homosexuels. Il a donc créé cet algorithme qui lui permettait d'envoyer... Vous savez... Êtes-vous célibataire? Habitez-vous avec un autre homme? Peu importe. Je ne sais plus. Par ailleurs, il avait pratiquement créé une mesure avec quatre ou cinq autres économistes très chevronnés, que l'on appelait l'Indice gay. Quand je l'ai rencontré, il m'a dit : « Rich, dis-moi quels sont tes cinq principaux points névralgiques de la classe créative du domaine de la haute technologie. » Je lui ai répondu que c'était San Francisco, Boston, Austin, Seattle. Et peu importe, une autre ville. Et vous savez quoi? Il a dit : « Tu viens de me nommer cinq des dix villes qui comptent le plus d'homosexuels en Amérique. » Il a dit : « Ma mesure n'est pas seulement une mesure des gays. Ma mesure est une mesure des infrastructures parce que les hommes gays sont très attirés par les infrastructures urbaines. Et si nous mettions les deux ensemble? » Les résultats statistiques étaient tout simplement frappants. Le fait que nous ayons trouvé cet incroyable lien statistique entre les concentrations non seulement de bohémiens mais également d'hommes gays, c'est ce qui explique ma présence à l'émission « The Colbert Report »... Qui a été plutôt remarquée. Cela a généré beaucoup de popularité et son lot de critiques à l'égard de mon travail. Quand vous écrivez au sujet des gays, oh la la, vous devenez le grand méchant loup. Et c'est très intéressant. Mais peu importe. Et ce sont réellement ces deux analyses qui ont propulsé le livre. On compte environ 5 pages dans le livre à ce sujet, un livre de 500 pages. Cela a propulsé le livre au rang de best-seller. On a pu lire des manchettes du genre « Pourquoi les villes qui comptent des groupes de rock et une communauté gaie dominent le monde ». Mais effectivement, nous avons commencé à relever des associations bizarres. Ce qu'il fallait retenir n'était pas que les gays ou les bohémiens stimulaient la croissance des villes, mais plutôt que les gays ou les bohémiens étaient des indicateurs approximatifs, ou indirects, d'un certain écosystème sous-jacent qui était ouvert aux nouvelles idées, aux personnes différentes, à différents genres de... Laissez-moi vous donner l'exemple que j'utilise quand j'aborde ce sujet. J'explique alors, je raconte que je vivais à Pittsburgh. Imaginez un jeune Steve Jobs et Steve Wozniak, les fondateurs d'Apple Computer, à bord d'une VW Microvan, un Microbus, arborant de longs cheveux. Ils ont les cheveux longs, ils portent des jeans Levi's déchirés. Ils portent, vous savez, ces espèces de grandes chemises des années 1960 qui critiquaient les Beatles. Ils portent des sandales Birkenstock et se présentent avec leur ordinateur Apple à la Mellon Bank de Pittsburgh. On aurait dû les refuser. Les agents de sécurité auraient dû les mettre à la porte. Qui sont ces deux hippies? Eh bien, j'ai interviewé Donald Valentine, l'investisseur en capital-risque de Silicon Valley, qui a financé Steve Jobs et Steve Wozniak. Je l'ai interviewé dans les années 1980 alors que je ne savais pas de quoi il parlait. Cet homme portait une chemise Brooks Brothers, un nœud papillon et un veston. Et il a dit, j'ai dit : « Quoi? Pourquoi financeriez-vous ces deux jeunes hippies? » Il a répondu : « Richard, ce n'est pas l'habit qui compte. Les gens se laissent berner par les apparences. C'est ce qui se cache derrière qui est important. Et ces gars avaient une idée brillante. Évidemment que je les ai financés. » Alors ce que j'essayais de démontrer, c'est que certains endroits, comme la région de la baie, la région de Boston ou des secteurs de New York, des endroits qui ont été longtemps le refuge d'artistes et de bohémiens, les endroits qui regroupent la population homosexuelle, là où ces populations ne pouvaient pas aller avant... Ce sont ces endroits qui ont créé un écosystème différent, et quand ces technologues sont arrivés sur le marché du travail avec une dynamique différente, c'est dans ce genre d'endroit qu'ils - ils auraient pu migrer à de nombreux endroits - mais c'est dans ce genre d'endroit qu'ils pouvaient aller chercher suffisamment de soutien et de financement et ainsi se donner suffisamment d'élan pour lancer leurs entreprises.

[Pendant que Taki parle, une bannière mauve apparaît momentanément dans le coin inférieur gauche. On peut y lire : « Taki Sarantakis. Président. École de la fonction publique du Canada. »]

Taki Sarantakis En effet. On peut donc dire que ces géographies, maintenant des villes, des méga-régions, ce sont des aimants qui commencent d'une certaine façon à attirer le talent, à attirer les industries et à attirer les gens qui ont de la créativité. L'une des choses que votre livre démontre peut-être plus que toute autre chose à cette époque, selon moi, est que la ville doit revenir au cœur des politiques publiques. Parlez-nous maintenant davantage de... Disons... Est-ce que c'est plus important de vivre dans le bon pays ou dans la bonne province ou dans la bonne région ou dans la bonne ville, comme on le voit dans le secteur des politiques publiques? Nous accordons beaucoup d'importance, surtout au Canada, sur ce que l'on pourrait appeler les ordres de gouvernement constitutionnel. Nous avons un gouvernement fédéral, puis nous avons un gouvernement provincial. Ce sont les deux seuls gouvernements qui existent selon la constitution. Mais il y a ensuite cet autre ordre de gouvernement et la municipalité ou l'administration locale. Vous la placez en quelque sorte au centre. Qu'est-ce que ce genre... Qu'est-ce que cela signifie du point de vue des politiques publiques?

[La fenêtre vidéo de Richard remplit l'écran. Pendant qu'il parle, une bannière mauve apparaît momentanément dans le coin inférieur gauche. On peut y lire : « Richard Florida. Professeur à l'Université de Toronto, auteur du livre Rise of the Creative Class. »]

Professeur Richard Florida Eh bien, regardez, j'étais très heureux de voir que ce que l'on croyait mort était en train de revenir à la vie. Alors oui, j'étais... Rappelez-vous quand j'ai écrit « Rise of the Creative Class », la plupart des premières critiques de ce livre étaient différentes des critiques les plus récentes que j'ai reçues au sujet de mon travail. La plupart des gens croyaient que j'étais fou parce que j'affirmais que les villes pouvaient renaître. La majorité des gens ont pensé, après le 9 septembre à New York, que les villes allaient assurément se vider. Et puis assurément, quand le crash technologique est survenu et ensuite en 2008, avec le crash économique, que les villes allaient sombrer à nouveau et que tout le monde allait fuir vers les banlieues. Dans l'ensemble de mon travail, je crois que l'un des aspects qui a constitué ma plus grande erreur, c'est que je suis en quelque sorte revenu sur mes prédictions relativement à la résurgence urbaine. Je crois que, dans les faits, je sous-estimais la vitesse et l'ampleur qu'allait prendre ce mouvement de retour en ville. Donc, vous savez, cela a vraiment été... Mon livre est sorti en 2002. J'y réfléchissais, j'espérais que ça se produise et je faisais des prédictions à ce sujet. En justifiant mes affirmations et, vous savez, en ajoutant des mises en garde. Soudainement, en 2010, le tout prend son envol; vous savez, après la récession de 2008, on observe cet incroyable mouvement de retour en ville, et ce n'est pas seulement à New York et à San Francisco et à Boston, mais aux endroits que vous avez mentionnés. Pittsburgh, Detroit, Cleveland. Et l'autre chose qui s'est passée, c'est que l'urbanisme est devenu un champ de compétence. Maintenant, l'urbanisme commence à attirer des gens qui sont beaucoup plus intelligents que moi. Des gens qui sont de bien meilleurs statisticiens, de bons économétriciens. Il y avait un autre homme du nom d'Ed Glaeser à Harvard, qui écrivait à ce propos, et un autre gars, Bruce Katz, à Brookings; les trois ensembles, nous étions les trois personnes qui écrivions véritablement à ce sujet. Par la suite, les étudiants d'Ed sont entrés en scène. Il y avait alors tous ces jeunes des universités Harvard, MIT et Stanford. Ils produisaient une énorme quantité de travaux en sociologie urbaine et en géographie urbaine. Et c'était fantastique! C'est alors que nous commencions à voir cette incroyable renaissance urbaine et une véritable gentrification. Il y a un gars qui s'appelle Alan Ehrenhalt. C'est un excellent auteur. Ce n'est pas un intellectuel issu du même moule que Jane Jacobs. Il a écrit un livre intitulé « The Great Inversion ». L'hypothèse ou l'argument de base de ce livre, c'est que, pendant presque toute notre vie, au cours du dernier siècle, nous avons observé que les gens quittaient les villes pour s'installer dans les banlieues. La richesse, l'activité, les affaires et le talent... Et maintenant, nous observons une inversion. La richesse et les activités professionnelles et la haute technologie reviennent dans les villes, et les banlieues s'appauvrissent. Elles deviennent ce que les villes étaient. Alors oui, c'est un véritable point tournant. Et juste pour boucler la boucle et répondre à votre question, vous savez, c'est à ce moment-là que je redécouvre vraiment Jane Jacobs. C'est alors que j'apprends à connaître Jane Jacobs. Je n'avais pas encore tout à fait déménagé à Toronto. Nous sommes déménagés à Toronto en 2007, mais j'ai fait la connaissance de Jane au début des années 2000, 2002, 2003. Je venais à Toronto pour donner des conférences avec elle dans le Distillery District, que l'on appelait « Lunch with Dick and Jane ». Assez comique! Malheureusement, nous avons seulement des photos et des notes. Personne n'a enregistré ni filmé cela. C'est ainsi que, je veux dire, ça paraît drôle, mais c'était le début des années 2000. Peu importe... J'ai commencé à m'y intéresser vraiment... et j'ai appris à connaître Jane. Et ce qui m'intéressait alors c'était que Jane commençait vraiment... avait remarqué que les villes étaient la véritable source d'innovation et que la banlieusardisation était un genre de diversion pour s'éloigner de la norme historique. C'est alors que j'ai décidé de relire les travaux de Jane, non seulement dans « Déclin et survie des grandes villes américaines », mais aussi dans « The Economy of Cities » et dans « Les villes et la richesse des nations ». Et vous savez, elle a dit quelque chose de vraiment profond et tout le monde écoutait. Elle est comme ça. Quand on lui a demandé quelle avait été la meilleure idée qu'elle avait eue, elle a prononcé des paroles très humbles. Jane a dit : « Je crois que j'ai remarqué quelque chose qui avait échappé à d'autres économistes. » Elle a précisé : « La plupart des économistes croient que la richesse se crée en augmentant la spécialisation qui découle de la division du travail. » Cela voudrait dire que l'on ventile les tâches en composants plus petits et encore plus petits pour faire les choses de façon plus efficiente et qu'efficience veut dire productivité et que productivité veut dire richesse. Elle a dit : « Oui, c'est important, mais ce n'est pas une théorie de la croissance économique. » Elle a dit : « Je pense que j'ai découvert que la croissance économique est générée par les villes. » Et pourquoi est-ce ainsi? Parce que la croissance économique découle de l'innovation. Il y a de grands économistes, comme Joseph Schumpeter, qui l'ont démontré il y a très longtemps. Mais Schumpeter s'inquiétait du fait que l'innovation au sein des entreprises diminuait progressivement, car les entreprises devenaient trop grosses et s'embourbaient dans la bureaucratie et n'étaient pas de nature entrepreneuriale. Alors Jane Jacobs a dit : « Ce que l'histoire raconte, ce que les villes ont fait dans l'histoire, c'est de déclencher l'élan entrepreneurial et innovateur en réunissant les gens et en les forçant à se grouper et à se regrouper, en les poussant et en les pressant ensemble dans les villes. On obtient ainsi des vagues d'innovation. » C'était donc les villes et la conglomération; il y a un grand économiste ayant remporté un prix Nobel, Robert Lucas, qui a en fait rédigé un essai intitulé « On The Mechanics of Economic Development », qui disait qu'il accordait le mérite de la théorie de la croissance économique à Jane Jacobs. Cette femme n'a pas de doctorat, elle n'a pas étudié l'économique. La théorie de la croissance économique lui appartient, et il lui a donné un nom officiel. Il a appelé cela l'externalité du capital humain. Ce sont les économies externes ou les économies positives ou les retombées qui viennent avec le regroupement de gens, selon lui. Appelons cela une externalité de Jane Jacobs. C'est alors que j'ai vraiment redécouvert Jane Jacobs, et elle m'a dit... Elle a dit : « Je crois que j'ai découvert quelque chose que les économistes n'avaient pas relevé. » C'est pourquoi elle est devenue une personne aussi intéressante pour ceux qui étudiaient les villes.

Taki Sarantakis Oui, elle est fantastique. En fait, mon ouvrage préféré de Jane Jacobs est « Systèmes de survie », qui parle d'un genre de syndrome commercial par opposition au syndrome du gardien et du fait que la société a besoin des deux.

Professeur Richard Florida Deux remarques avant que nous poursuivions là‑dessus. Je crois qu'il y a deux livres, non trois livres de Jane Jacobs qui sont peu connus. Premièrement, il y a un livre fantastique qui traite du séparatisme qui a fait partie des exposés qu'elle a présentés sur CBC. C'est excellent.

Taki Sarantakis Vous parlez de « Retour à l'âge des ténèbres »?

Professeur Richard Florida C'est ça. Le deuxième s'intitule « Systèmes de survie », qui, en fait, anticipe ce que nous voyons comme étant le mouvement naturel, les villes naturelles, le virage écologique. Et le troisième est « Retour à l'âge des ténèbres ». Oh mon Dieu! Nous sommes ici et nous avons vu, vous savez, Donald Trump et puis, vous savez, pensez aux réticences face aux vaccins, les amis. Pensez à cela, vous savez, et je suis Américain, la situation était bien pire dans mon pays qu'au Canada. Mais vous savez, pensez à tous ces gens qui refusent de se faire vacciner. Ils croient que c'est de la science bidon. Au début des années 2000, Jane Jacobs avait anticipé cela et avait dit que cette ère anti-science, cette remise en question de la science était le signal d'un retour à l'âge des ténèbres et que nous aurions à composer avec ces populistes exaltés, comme Donald Trump. Donc vous savez, il y a une chose importante à propos de Jane, et nous revenons à nos moutons, c'est qu'elle a une intuition incroyable et qu'elle peut imaginer ce qui s'en vient. Les gens ont pensé, quand elle a écrit « Systèmes de survie » et « Retour à l'âge des ténèbres », qu'elle était folle. Les critiques...

Taki Sarantakis Je me souviens que les critiques du livre « Retour à l'âge des ténèbres » étaient du genre : « elle a perdu la raison ».

Professeur Richard Florida Et les deux livres se sont avérés être incroyablement prémonitoires.

Taki Sarantakis Alors nous avons parlé en quelque sorte des villes et de la revanche de la géographie et du regroupement des gens. Passons rapidement à la COVID maintenant. Vous savez, il y a un an, dans les villes, on se disait des choses du genre : « Oh mon Dieu! Il faut décamper d'ici. Installons-nous non seulement en banlieue, mais plus loin, allons en campagne. » Qu'est-ce qui s'est passé dans ce cas-ci?

Professeur Richard Florida C'est intéressant. Tout juste hier soir, un gars a publié sur Twitter, un urbaniste très connu, quelque chose que j'avais écrit en 2017. J'ai écrit un livre intitulé « The New Urban Crisis », et j'ai écrit un texte d'opinion pour The New York Times en 2017 que j'ai intitulé « The Urban Revival Is Fragile », mais que The New York Times a réintitulé « The Urban Revival is Over ». Il a dit : « Vous savez, Florida a été plutôt visionnaire puisqu'il a vu certaines tendances, comme les villes où il coûte cher vivre, le caractère inabordable de la ville et la gentrification des villes. » Il y a une citation de Jane Jacobs que je préfère. Quand je l'ai questionnée au sujet de la gentrification, elle a dit : « Richard, quand un endroit devient ennuyeux, même les riches s'en vont. » Vous savez, quand les villes ne sont pas stimulantes, les gens ne veulent plus y rester. Et j'ai dit que la hausse de la criminalité aux États-Unis et l'augmentation des crimes en milieu urbain et des crimes violents aux États-Unis commenceraient en remettre en question... J'ai dit que cette renaissance urbaine dont j'ai été témoin et dont les gens disent du mal est un phénomène très fragile. J'ai vu des villes qui étaient mourantes. J'ai vu des villes renaître, mais il ne faut rien tenir pour acquis. Et maintenant la COVID porte un coup supplémentaire. Il ne fait aucun doute que la crise liée à la COVID-19, pas tant au Canada, mais plus particulièrement dans les villes américaines, a accéléré un mouvement de départ de la population et des entreprises, et surtout, comme vous l'avez dit Taki, a accéléré la mise en place du télétravail. Dans mon esprit, le télétravail constitue le plus gros changement dans l'organisation du travail que l'on a connu depuis peut-être l'invention de la chaîne de montage. Vous savez, je dirais depuis 50 ans, mais vous savez, le taylorisme, la gestion scientifique, l'invention de la chaîne de montage, cette capacité de faire ce que nous accomplissons actuellement puisque nous disposons de ces technologies et capacités pour travailler à distance d'une façon plutôt efficace est une grosse transition. Donc, si l'on fait les calculs, on peut dire qu'environ moins de 5 pour cent des gens travaillent à distance pendant la pandémie. Ce chiffre va monter à environ 20 pour cent. Ce que cela signifie, pour être bien franc avec vous, c'est que les gens vont pouvoir déménager dans une autre ville. Vous savez, il y a des gens qui partent de New York pour Nashville ou de New York pour Miami ou de la région de la baie pour Austin ou de la région de la baie pour Boise. Et c'est ce qui se passe. C'est vraiment le cas. Mais le plus gros changement, que vous avez remarqué, c'est qu'une personne comme mon père, un travailleur, ou l'un de mes oncles qui travaillait dans un bureau... Mon père travaillait dans une usine... Ces gens pouvaient s'installer en banlieue et se rendre à l'usine en voiture, en métro ou en véhicule tracté par câble, ou ils pouvaient prendre un moyen de transport pour se rendre au bureau. Mais ils devaient vivre en banlieue et prévoir des déplacements de 20, 30, 40, 50 minutes. Désormais, bon nombre de ces individus peuvent s'installer encore plus loin. Ce que cela entraîne, comme vous l'avez dit de façon assez juste, ce que cela fait, c'est d'étirer les limites des régions métropolitaines plus loin que la banlieue-dortoir traditionnelle jusqu'à la périphérie rurale. Maintenant, si vous regardez les endroits qui ont connu les plus fortes croissances aux États-Unis pendant la pandémie, ce sont les municipalités de Hudson Valley à l'extérieur de la ville de New York. Ce n'est pas Miami. Ce n'est pas Austin, même si Austin a connu une croissance plutôt rapide. Il s'agit des municipalités éloignées, vous savez, un peu l'équivalent de Prince Edward County à Toronto, à vrai dire. Alors oui, on a vu beaucoup de gens, et cela est logique selon moi. Vous savez, la classe créative n'a jamais vraiment été du type banlieusard. Elle a toujours voulu quelque chose d'unique. Et si vous vous attardez à l'histoire canadienne ou à l'histoire américaine, vous verrez la même chose. Prenons, par exemple, ce groupe de gars canadiens qui ont migré aux États-Unis. On parle de musiciens qui jouaient à Yorkville. Ils ont migré aux États-Unis au début des années 1960 pour devenir le groupe accompagnant Bob Dylan. Ce groupe avait pour surnom « The Band ». Les gars vivaient leur rêve dans Greenwich Village. Où ont-ils déménagé pour contribuer à faire connaître leurs albums? Sont-ils restés à Greenwich Village pour produire leurs albums? Non. Ils ont suivi Bob Dylan et de nombreux autres grands musiciens et artistes à Woodstock, New York, Hudson Valley. Il y a une grande partie de notre histoire qui appartient à la ruralité. Vous comprenez ce que je veux dire? La créativité que nous avons écartée et qui a été ravivée. Dans le cas de la COVID-19, nous nous retrouvons avec des individus qui sont plutôt avantagés, qui ont, vous savez, qui profitent de beaucoup d'avantages, qui ont un niveau de scolarité élevé, qui peuvent prendre part à des activités créatives et qui disent maintenant : « tu sais quoi, je préférerais vivre en milieu rural. » Ceci étant dit, prenons les villes, nous ne pouvons pas faire abstraction des villes. Je crois que, déjà dans les villes, vous savez, les gens se disent maintenant, eh bien, maintenant à New York, parce que New York est en avance sur Toronto. En fait, les amis, nous devrions faire quelques vérifications parce que je pars en mission exploratoire à New York la semaine prochaine pour jeter un coup d'œil à la réouverture. Mais ce que nous observons à New York, ce sont des ventes inégalées, une consommation record de stocks en inventaire, des taux de location sans précédent et des ventes jamais vues. Les prix sont maintenant à la baisse, ce qui est une bonne chose. Mais nous constatons que New York reprend des forces beaucoup plus vite que ce que les gens avaient imaginé. Donc, je ne mettrais pas les villes de côté tout de suite. Voici ce que je pense. Je crois que les villes, surtout aux États-Unis, je pense que c'est différent au Canada. Il faut faire une distinction ici je pense. Le fait d'avoir un système d'éducation provincial et un taux de criminalité relativement bas, même si nous avons des crimes contre les biens, ce qui est problématique à Toronto, je crois, mais des niveaux de crimes violents relativement bas signifient que davantage de familles se sentent en sécurité dans la ville. Aux États-Unis, où l'éducation dans les villes est... n'est pas très bonne. Je veux dire, je ne voudrais pas... Bon nombre de personnes décident qu'ils doivent envoyer leurs enfants dans une école privée. Ils doivent parcourir de longues distances, et leurs enfants doivent faire de même pour se rendre à l'école, et la criminalité est un véritable problème. Il y a un enjeu beaucoup plus grand : les crimes violents. Je pense que les gens qui ont des familles déduisent une fois de plus que les banlieues et les zones rurales sont d'une certaine façon plus attirantes. C'est pour cela que l'on voit une transition démographique. Mais les jeunes reviennent, vous savez, les jeunes gens, après le collège, retournent dans les villes.

Taki Sarantakis En effet. D'accord et maintenant nous sommes rendus... Oh, comment pourrions-nous conclure? Vous avez vu certaines choses disons vers la fin des années 1990 ou tout au long des années 1990 et vous avez écrit à ce sujet au début des années 2000. Vous avez écrit à ce propos depuis ainsi que sur différents phénomènes. Dites-nous... en tant que responsables de l'élaboration des politiques au gouvernement du Canada, en tant que chargés de programme au gouvernement du Canada, en tant que personnes qui donnent des conseils à des ministres et qui exécutent des programmes... De quoi devriez-nous nous inquiéter? Quels sont certains des éléments que nous devrions observer et sur lesquels nous devrions peut-être nous pencher un peu plus rapidement? Est-ce l'éducation? Est-ce la criminalité? C'est bien cela? S'agit-il de la cohésion sociale? Par exemple, quels sont les aspects auxquels nous devrions accorder davantage d'attention de votre point de vue et auxquels nous ne sommes pas assez attentifs?

Professeur Richard Florida Hum. Divisons cette question en deux parties. Prenons la vue d'ensemble, puis je vous dirai sur quoi les politiques peuvent se concentrer selon moi. La vue d'ensemble est que nous sortirons de cette pandémie dans une situation meilleure ou pire. Je pense qu'il suffit de regarder ce qui s'est passé dans les années 1920 après la grippe espagnole, les Années folles. C'est une assez bonne analogie d'un point de vue historique de ce que nous risquons de voir. Je crois donc que nos villes en sortent gagnantes à certains égards. Elles ont rajeuni. Elles sont plus abordables. La classe créative a les moyens d'y retourner. Les gens riches quittent. Les gens qui achètent ces grands penthouses, mais qui ne les utilisent pas, ils décampent en banlieue ou dans leur, vous savez, maison de campagne, et ils déménagent dans le sud de la Floride, peu importe où ils s'en vont. Ils retournent dans le sud de la France, ou à Paris, peu importe. Et je pense qu'il devient plus facile de circuler à pied dans les villes. On investit dans les parcs; vous savez, je suis un cycliste. Nous nous promenions hier à Toronto dans le secteur riverain et nous nous disions : « cet endroit est magnifique ». Ce que je veux dire, c'est qu'il y a des pistes cyclables partout; vous n'avez pas à composer avec la circulation ni avec les voies. Nous regardions le parc dans le secteur riverain. Qu'est-ce qui a été fait? C'est incroyable! C'est incroyable. Mais nous avons ainsi obtenu des niveaux d'inégalité extraordinaires. Vous savez... Il suffit de regarder à quel point la COVID-19 a touché les minorités visibles, les Canadiens vulnérables et les travailleurs essentiels, tandis que nous pouvions travailler en toute sécurité, demeurer à la maison et travailler à distance. Je pense que cela a accentué la pandémie, car le prix des logements a augmenté, et certaines personnes ont décidé de quitter la ville; la situation a donc accentué ces inégalités. Les municipalités de banlieue s'améliorent également. Autrement dit, les banlieues deviennent plus urbaines et hébergent davantage d'installations de cotravail; elles développent de meilleurs centres-villes. Mais une fois de plus, cela profite à la population avantagée. Donc, à de nombreux égards, si vous utilisez des termes d'urbaniste, nos villes deviennent plus écologiques et plus durables et offrent plus de pistes cyclables, tandis que nos banlieues deviennent plus urbaines et denses et comptent plus d'installations de travail. Mais elles deviennent aussi incroyablement... Et comment c'était dans les années 1920? Il y a eu un boom accompagné de niveaux d'inégalité sans précédent. Alors que faut-il faire avec les politiques publiques? Eh bien, je crois qu'il faut doubler la mise avec les politiques publiques pour créer des régions métropolitaines plus inclusives, résilientes et durables, et non seulement le faire dans les villes. Nous devons investir beaucoup dans nos villes pour nous assurer qu'elles sont inclusives, qu'elles sont résilientes, qu'elles sont durables, que tout le monde peut participer, qu'elles offrent des logements abordables, qu'il y a des emplois - ces emplois tertiaires qu'occupent 45 pour cent des Canadiens, ces emplois essentiels, comme transporter notre épicerie ou nous livrer des biens, travailler dans les entrepôts, travailler dans les usines - que ces emplois sont valorisés, sont rendus plus sécuritaires et sont mieux payés. Vous savez, mon père me racontait toujours une histoire captivante. Il a commencé à travailler dans une usine à l'âge de 13 ans pendant la Grande Dépression. Sa famille avait besoin de neuf personnes pour la soutenir. Il est revenu de la guerre et, avec le même emploi, il a pu se marier, s'acheter une maison et avoir deux enfants. Nous avons fait en sorte que les emplois en usine deviennent des emplois payants. Nous avons, grâce à la syndicalisation et au New Deal et aux politiques fédérales au Canada, aux États-Unis, nous avons valorisé les emplois en usine et les avons transformés en emplois appartenant à la classe moyenne pour que les gens puissent s'acheter des voitures et des téléviseurs et des machines à laver et ainsi lancer cet élan industriel et générer une croissance économique. Nous devons faire la même chose avec les travailleurs du secteur des services. Nous devons investir pour vrai dans la construction de banlieues de meilleure qualité. Ce que je veux dire, que cela nous plaise ou non, le Canada n'est pas une nation urbaine. C'est une nation composée de banlieues, et nos banlieues sont loin d'être aussi durables ou résilientes ou inclusives que nos villes. Nous devons vraiment travailler à la densification, à la construction d'un plus grand nombre de parcs, à la construction, vous savez, de meilleurs endroits à l'intérieur même des banlieues. Nous devons mobiliser nos communautés rurales, nous assurer qu'elles ont un accès de qualité à la bande passante, vérifier que les gens des zones rurales peuvent obtenir des soins de santé, nous assurer qu'ils ne sont pas gentrifiés trop rapidement. Mais si nous revenons à une question que vous avez posée plus tôt, je crois que la grande... Et l'infrastructure. Regardez... Nous devons investir. Nous allons connaître un boom dans le financement des infrastructures aux États-Unis et au Canada. Nous devons investir dans l'infrastructure de l'avenir, pas celle du passé. J'ai mentionné la bande passante, mais, vous savez, il y a des choses comme les pistes cyclables, le potentiel piétonnier, la sécurité des piétons. Et des écoles plus petites. Et non pas ces énormes écoles de quartier qui ressemblent à des chaînes de montage. C'est ce que j'aime à Toronto. En fait, chaque quartier compte de bonnes écoles, de plus beaux parcs. Nous devons fabriquer un tissu urbain, investir dans celui-ci, puis réfléchir à la cohésion sociale en voyant cela comme un genre d'infrastructure. Mais pour y parvenir, je pense que nous devons vraiment réfléchir longuement et fermement et, on pourrait dire, bricoler ou remanier cet outil que nous avons appelé le fédéralisme. Notre outil fédéraliste et l'outil fédéraliste américain se séparent en trois ordres de gouvernement : un gouvernement national, un gouvernement provincial ou d'État, une administration locale. Aux États-Unis, je peux vous dire que le gouvernement fédéral a beaucoup trop de pouvoirs. Il nous fallait Donald Trump pour le constater. Notre gouvernement fédéral n'est pas, n'a pas trop de pouvoirs, mais nos provinces, vraiment, c'est ce qui fait toute la différence. Nos provinces ont un pouvoir énorme, tandis que nos villes et municipalités disposent de moins de pouvoirs, même moins que les villes américaines. Je pense que la véritable clé de notre fédéralisme passe par une transformation, avec le temps, afin de refondre ce fédéralisme en vue de trouver un meilleur équilibre qui donnera davantage de pouvoirs aux villes et aux localités. Le principe d'urbanisme utilisé ici s'appelle la subsidiarité. C'est un principe très simple auquel vous pouvez tous vous attarder. L'endroit qui est le mieux placé pour régler un problème, celui qui est le plus près du problème, devrait être celui qui règle le problème en question. Ainsi, il y a certains domaines comme l'entretien des parcs locaux ou la gouvernance des écoles locales qu'il faudrait probablement gérer idéalement au niveau des quartiers. Il y a certains points, comme le transport métropolitain, n'est-ce pas, qu'il serait probablement préférable de régler à l'échelle métropolitaine. Il y a des aspects qui se règlent mieux à l'échelon provincial, et d'autres, comme la défense nationale, qui sont probablement, qui doivent être vus à l'échelle nationale. Mais nous devons rééquilibrer tout cela. Je pense que nous devons transférer la responsabilité de certaines fonctions gouvernementales à l'administration municipale. Voyez-vous... Je crois que c'est un long processus, mais je pense qu'il est déjà en cours.

Taki Sarantakis En effet, nous pourrions terminer avec Jane Jacobs, car je crois que vous venez de toucher à quelque chose ici, soit le problème de la gouvernance ainsi que la façon de prendre des décisions et d'attribuer les responsabilités.

Professeur Richard Florida Vous savez, j'ai une dernière chose à ajouter à ce sujet et j'aimerais que tout le monde y réfléchisse. Je pense que, quand nous sortirons de cette pandémie, nous nous devrons de faire un examen très sérieux de nos mesures de lutte contre la pandémie. Quand on revient sur des désastres majeurs, comme le 11 septembre ou l'explosion de Challenger ou l'assassinat du président Kennedy, ou sur d'autres pandémies que nous avions déjà vécues, vous savez, la pandémie de SRAS au Canada, l'analyse rétrospective... Je crois qu'il faudra en faire une grosse dans le présent cas. Je pense que nous sommes réticents à cette idée parce que nous sommes encore en train de vivre l'événement. Et nous avons pris des mesures extrêmes. Mais je pense que nous devons être très conscients, premièrement, de la façon dont on gérera ce genre d'événements dans l'avenir et du retour que l'on fait. La plus grande réussite découlant de cette pandémie aura été de trouver le bon vaccin et les vaccins à ARN et comment les distribuer encore plus rapidement. Et je pense que nous pouvons le faire. Je crois que l'idée de rééquilibrer la santé publique et l'activité économique devrait mener à des conversations vraiment intéressantes. Et qui devrait faire quoi? Est-ce que ce devrait être le gouvernement fédéral? Est-ce que ce devrait être le gouvernement provincial? Est-ce que ce devrait être l'administration municipale? Qui est responsable de quoi? En y pensant du point de vue d'une société moderne... Je pense que ce qui s'est passé, c'est que nous avons changé de cap parce que nous étions tous effrayés, parce que nous avions une santé publique datant du début du 20e siècle. Comme si nous avions dit : « OK, restrictions, confinement, fermeture... ». Comme si c'était les outils que nous devrions utiliser. Je suggère que nous profitions de la fenêtre incroyable que nous offrent les cinq prochaines années pour réfléchir sérieusement parce que ce ne sera probablement pas la dernière pandémie. Comment interviendrons-nous? Quelles seraient les meilleures mesures? Qu'est-ce qui fonctionne et qu'est-ce qui ne fonctionne pas? Comment pouvons-nous trouver un équilibre entre l'économie et la santé publique? Comment pouvons-nous protéger les personnes vulnérables? Comment pouvons-nous nous assurer de distribuer les vaccins rapidement? Je pense que c'est vraiment, vraiment important. En fait, je pense que l'expérience, si je peux m'exprimer ainsi, cette analyse rétrospective pourrait justifier une conversation plus poussée sur ce que certains ordres de gouvernement devraient faire et quelles sont les conséquences, parce que cela englobe tout, n'est-ce pas? Cela comprend l'environnement et la santé publique. Cela comprend les infrastructures. Cela comprend la gouvernance des villes. Cela comprend les interventions médicales et la distribution des vaccins. Ce que je veux dire, c'est que c'est une incroyable combinaison interdisciplinaire de politiques. Donc je pense que nous devrions, en ayant l'esprit ouvert, honnêtement, sans faire de reproches, mais nous devrions nous lancer là-dedans avec une vraie... Et par la suite, que pouvons-nous faire pour réfléchir à la construction de meilleures villes, de meilleures zones métropolitaines, de meilleures banlieues, à la lumière de cette réalité post-pandémie? Je pense que nous pourrions... Il n'y a pas de côté positif à tirer de cette grande tragédie. Mais le fait de nous en être sortis devrait nous servir de leçon. C'est quelque chose que nous devrions transmettre à nos enfants et à nos petits-enfants. Une meilleure façon de gérer ce genre d'événement dans l'avenir.

Taki Sarantakis Très bien dit Professeur Richard Florida. Merci de votre temps. Merci de votre énergie. Merci de vos réflexions. Mais, plus important encore, merci d'être un allié de la fonction publique du Canada. S'il vous plaît, donnez-nous des nouvelles de votre voyage exploratoire à New York. Vous nous direz comment New York se porte aujourd'hui. Nous aurons tous l'impression d'avoir passé un peu de temps dans la plus belle métropole au monde.

Professeur Richard Florida J'adore ce pays. J'adore ce qu'il nous a donné. C'est notre... Vous savez, mon épouse et moi-même sommes toujours des citoyens américains; nous sommes résidents permanents parce que nous voyageons beaucoup et que nous manquons de jours. Mais nos deux enfants ont la double citoyenneté. Je peux vous dire quelque chose. Je crois que nous avons beaucoup donné à nos enfants, mais je pense que le plus beau cadeau que nous leur avons fait c'est la double citoyenneté afin qu'ils puissent être citoyens de ce pays. Ils ne comprennent pas encore ce que je veux dire. Je ne pense pas qu'ils savent qu'ils appartiennent à deux pays et ce que cela signifie. Ils savent quand ils vont en visite et savent que leurs cousins vivent dans l'autre pays. Mais vous savez, je leur dis, je leur dis vraiment chaque semaine, je leur dis qu'ils sont chanceux d'avoir eu ce cadeau, d'avoir la citoyenneté de deux grands pays. Alors je vous dis merci. Merci bien! Merci à vous tous de nous avoir adoptés et de nous avoir fait venir ici. Cela a été un véritable cadeau pour nous et un plaisir d'être avec vous. N'hésitez pas à communiquer avec nous si nous pouvons vous être d'une aide quelconque dans l'avenir.

Taki Sarantakis Absolument. Merci beaucoup, monsieur. Portez-vous bien. Au revoir.

[Les deux fenêtres vidéo disparaissent.]

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